
Quant au Conseil militaire, successeur du président déchu et
actuellement à la tête du pays, il est soupçonné de chercher
à se maintenir au pouvoir ou encore d’avoir conclu un accord
avec les islamistes, grands absents de ce vendredi de « la
remise sur la bonne voie » pour ne pas lui déplaire.
Au moment où les manifestants scandaient sur la place Tahrir
: « Le peuple veut épurer l’Etat », le gouvernement de
transition, et à la façon de l’Union socialiste sous Nasser
puis Sadate, a rassemblé les agriculteurs et les
fonctionnaires du ministère de l’Agriculture au stade du
Caire pour célébrer, contraints, ladite « Journée du paysan
». Ils ont été emmenés dans des bus venus des différentes
provinces du pays, et payés 50 L.E. chacun. Une sorte de
manifestation payée pour contrer celle de la place Tahrir.
Ainsi, avec un petit calcul, l’autorité en place a payé
environ 5 millions de L.E. pour s’acheter une popularité, un
peu comme l’ancien régime et son Parti national démocrate.
Il y a quelques années, ces derniers avaient organisé une
manifestation « obligatoire » dans ce même stade, pour
dénoncer la guerre en Iraq et répondre aux défilés de
l’opposition dans la rue.
Donc, c’est simple, le même régime est en train de se
reproduire. De nouvelles lois ou décisions émanant du
Conseil militaire ressemblent de près à ceux de l’époque
Moubarak. La plus récente et plus similaire — en termes de
langage aussi — est celle émanant du ministre de
l’Information, Ossama Heykal, avec des déclarations sur «
l’anarchie des médias ».
Un communiqué conjoint du gouvernement et du Conseil
militaire, et lu par le nouveau ministre de l’Information,
annonce l’arrêt de l’octroi des licences aux chaînes de
télévision privées, et des mesures légales contre les médias
qui « incitent aux émeutes et qui sèment la zizanie entre
les citoyens ». Ce même communiqué critique aussi « la
presse qui encourage les rumeurs et la sédition ». On aurait
cru des déclarations émanent d’Anas Al-Fiqi, le prédécesseur
de Heykal et fervent partisan de Gamal Moubarak, qui nous
avait habitués à des déclarations semblables à chaque fois
que les critiques étaient soulevées contre Moubarak et le
scénario de la succession de son fils. Les choses ne
s’arrêtent pas là. Un discours anti-révolutionnaire est
également clair sur les écrans de la télévision publique,
exactement comme aux premiers jours de la révolution, et un
espace « obligatoire » est accordé aux partisans de
Moubarak. Une restriction des libertés d’expression et des
libertés en général est en cours. Les indices ne manquent
pas. Les autorités ont dans la foulée fermé les locaux de la
chaîne qatari Al-Jazeera Live Egypt, invoquant une plainte
des voisins ! Il y a aussi ce langage menaçant à l’encontre
des grévistes, au moment où le pays est frappé par la plus
importante série de grèves, allant des médecins aux ouvriers
en passant par les enseignants. La première critique
formulée à l’encontre du Conseil militaire est liée aussi à
son attitude par rapport aux grèves, étincelle de la
révolution. Elle remonte à mars dernier, lorsque les
gouverneurs ont promulgué une loi incriminant les sit-in et
les grèves, et imposant une pénalité pouvant aller jusqu’à
un an de prison et une amende d’au moins 100 000 L.E. Face à
ces mesures, les révolutionnaires s’inquiètent. Ils
craignent de perdre les acquis de la révolution populaire et
critiquent les lois électorales élaborées dans la plus
grande discrétion et sans véritable consultation avec les
forces politiques. Des lois qui favorisent un retour au
Parlement des membres du parti de Moubarak, aujourd’hui
dissout.
Mais la plus importante critique concerne les procès
militaires contre les civils. Malgré les assurances du
Conseil militaire de limiter l’usage de ce type de
juridiction à la brutalité, le viol et les assauts contre
les hommes de sécurité, des écrivains ont fait l’objet de
procès militaires pour avoir critiqué le Conseil militaire.
Ce dernier, qui avait promis d’arrêter ces procès, d’abroger
l’état d’urgence en place depuis 1981, vient d’annoncer la
prolongation de cet état, profitant des heurts de ce
week-end dans les abords de l’ambassade israélienne au
Caire.
Des manifestants armés de marteaux et de barres de fer ont
fait tomber un mur de protection érigé ces derniers jours
par les autorités devant l’immeuble abritant cette mission
diplomatique. Ils ont ensuite retiré le drapeau israélien du
haut de l’immeuble, le remplaçant par le drapeau égyptien.
Mais dans les alentours, et en bas de l’ambassade saoudienne
et du commissariat de Guiza, de violents affrontements ont
éclaté entre manifestants et policiers anti-émeutes dans une
scène de brutalité digne du 28 janvier, journée charnière de
la révolution. Il y a eu des morts, des blessés, des
pierres, du gaz lacrymogène et des véhicules brûlés. Des
informations non officielles montrent du doigt des hommes
d’affaires de l’ancien régime. Ils auraient payé, comme dans
« la bataille des chameaux » ou dans le procès de Moubarak,
des baltaguis et faiseurs de troubles pour anéantir la
révolution, encourageant les militaires à restaurer la
dictature, tout en évitant des critiques de l’Occident,
puisqu’Israël est concerné. La démocratie serait sacrifiée
par les Occidentaux tant que la sécurité d’Israël ou de sa
simple mission diplomatique est en jeu.
Les révolutionnaires ne lâchent pas. Ils exigent des
militaires au pouvoir un « calendrier complet détaillant les
étapes de la transition et leur retour aux casernes ». Les
Frères musulmans, qui ont refusé de prendre part aux
manifestations de vendredi, ont rejeté « toute tentative
d’utiliser et d’exploiter ces incidents pour appliquer des
dispositions martiales, restreindre les libertés ou retarder
les échéances de la période de transition » (lire page 4).
Les révolutionnaires dénoncent une lenteur inacceptable de
la part du Conseil militaire en ce qui concerne le transfert
du pouvoir aux civils. Ils osent le dire pleinement, mais
d’où vient au juste la force et le pouvoir de ces insurgés ?
C’est simple, il n’est pas question de les décourager et ils
continueront à souffler le feu de la révolution malgré les
entraves.
Samar
Al-Gamal - Al Ahram Hebdo